Du vert sur les mains

Du vert sur les mains

Violence éducative

Se passe-t-il une semaine (parfois même un jour!) sans qu'un proche, un voisin, un inconnu, une personnalité - spécialiste ou non - à la télé, à la radio, au cinéma, dans les journaux, les magazines, etc. ne parle de violence éducative?

Le terme lui-même paraît fort: violence éducative. C'est oublier que la moindre fessée, la moindre claque - qui pour la plupart de ceux qui l'inflige ne porte pas à conséquence - est un acte physiquement et psychologiquement violent.

 

Pourquoi faisons-nous subir à nos enfants ce que nous ne supporterions pas en tant qu'adultes, qui nous blesserait psychologiquement bien plus que physiquement, qui nous amènerait peut-être à porter plainte, qui nous humilierait?

Disproportionné comme parallèle (ah bon? Et pourquoi?).

Une voisine insistait sur les vertus éducatives du dressage physique alors que j'abordais avec elle ce sujet récemment.

Son argumentation tenait en une remarque assez simpliste qui résume presque à elle seule ce que pensent de nombreuses personnes quant à la maltraitance opérée sur les enfants.

Cette réponse toute faite sonne comme une impuissance notoire à réagir avec respect et attention à ce que nous disent nos enfants dans des moments émotionnellement forts:

"j'ai bien reçu des claques, j'en suis pas morte".

Certes...

Pourtant tout est dit dans cette phrase valise ou l'on peut notamment entendre en sourdine:  ce qui ne me détruit pas me rend plus fort. Citer Nietzsche ici ne relève pas d'une quelconque fatuité, c'est que son parcours heurté éclaire douloureusement les profonds stigmates dont il a hérité de son enfance. Déjà tout petit, et bien avant la célèbre folie qui l'habita les 11 dernières années de sa vie, le garçon est régulièrement malade.

Mais il n'est pas la seule personnalité de notre histoire dont les maltraitances ou chocs psychologiques dans l'enfance (cf: notre corps ne ment jamais d'Alice Miller) ont affecté la santé physique et mentale allant parfois jusqu'à provoquer une mort prématurée.

On a tendance à occulter cette aspect de la vie d'éminents artistes, philosophes, écrivains tant leur œuvre suffit à les représenter. Pourtant nombre de ces femmes et hommes, s'ils avaient pu se pencher avec justesse sur leur passé et notamment sur leur rapport avec leur parents ou tuteurs auraient certainement vécu plus heureux qu'ils ne le furent, et ce quelle que soit la qualité de leur travail, qu'ils aient marqué l'histoire ou non.

 

Il y a plusieurs observations à faire sur la maltraitance physique que beaucoup font subir à leurs enfants:

Les origines des montées de colères ingérables qui amènent aux coups, claques, secousses et autres fessées sont souvent le fait ;

- D'un comportement inconscient - car lui-même subit par le sujet - de reproduction; en gros: nous avons été frappés enfant, nous frappons nos propres enfants, c'est comme ça que cela fonctionne.

- Du stress quotidien, de la fatigue, ponctuels ou accumulés; des frustrations, irritations ou tout autre source de colère emmagasinées et dirigées vers un tiers, son compagnon, un voisin, son patron, etc. vont s'exprimer au moindre écart de notre enfant, exutoire facile, impuissant et fragile qui aura su - par un comportement jugé déplacé ou agaçant - ouvrir les vannes de notre colère réprimée qui ne demandait qu'à vider son excédent d'émotions négatives.

Dans ces 2 cas, le parent violent cède à cette explosion car il n'a pas fait l’effort nécessaire de compréhension des mécanismes qui la dirige.

Le travail est souvent ardu, car anxiogène, lorsqu'il faut remonter bien en amont de sa vie: il s'agit en effet de fouiller son passé pour comprendre ce qui a pu conduire les gestes et comportements de l'adulte qu'il est aujourd'hui: cela implique une obligatoire et inévitable confrontation au système éducatif familial d'alors.

Or cela nous met dans une position ambigüe vis à vis de nos propres parents car il est très difficile de remettre en cause leur autorité, leurs bonnes intentions éducatives et par là même leur amour puisque c'est pour notre bien qu'ils nous ont punis, frappés, isolés.

 

Un constat imparable s'impose, il est relevé par l'ensemble des précurseurs de l'éducation non-violente (Alice Miller, Janusz Korczak, Maria Montessori...) jusqu'à ses défenseurs actuels (Olivier Maurel, François Marchant, Catherine Dumonteil...):

Le monde va mal car l'enfance va mal.

Les états, les médias, l'ensemble des observateurs et tous ceux qui ont autorité commentent à longueur de journées les mesures discplinaires, les sanctions, les punitions - existantes, nouvelles ou à venir - qui vont tomber sur l'adolescent ou l'adulte qui commettent un acte violent, qui ont enfreint la loi, la morale. Et chacun de s'en réjouir, de le déplorer, de trouver la peine trop courte, trop lourde, pas assez longue, pas assez exemplaire. Mais que fait-on en réalité pour changer tout cela à la source, pour éviter toute cette accumulation incessante de commentaires qui semble inévitable?

Il y a, certes, le travail macroscopique de certains spécialistes convaincus (psychologues, psychiatres, éducateurs, assistants sociaux...), mais aucun travail de fond à grande échelle n'est en route, aucun discours politique ne traite du pouvoir de la non-violence éducative, la majorité des personnels encadrant de l'enfance ne relaie pas ce discours.

Comme dans tout schéma à responsabilité limitée, le citoyen peut être l'instigateur, le souffleur de bonne parole. La multiplication d'organismes, d'associations qui défendent les droits des enfants, qui essaiment, sensibilisent, transmettent, et ce dans chaque lieu de ce monde, peut être l'ébauche d'un travail de fond. Cela prendra des décennies, mais il faut s'y atteler. C'est la condition sine qua non à l'amélioration de la condition humaine et donc à tout ce qui en découle; car dès lors nos structures sociales, politiques, économiques... n'auront plus les mêmes repères, ne seront plus assujetties aux mêmes schémas, aux mêmes fondamentaux qui entretiennent la dérive des émotions et conduisent aux mêmes écueils psychologiques.

De nouvelles bases de réflexions sont à créer.

 

Cette petite phrase d'Alice Miller qui sonne si juste: "si tous les enfants victimes de maltraitance ne deviennent pas des bourreaux, tous les bourreaux ont subi de la maltraitance" (à propos d'Hitler dans "C'est pour ton bien")



15/03/2012
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 7 autres membres